Padmavati aurait sans doute pu être l’un des grands succès de ce cinéma indien que l’on nomme Bollywood. Il n’en sera probablement rien, en tous cas pas ici en Inde. L’histoire de ce film et de sa censure est à nos yeux symptomatique de l’Inde aujourd’hui telle que nous l’avons découverte au travers de nos expériences, de la lecture des journaux et de nos échanges avec les résidents étrangers installés en Inde, les touristes et les Indiens eux-même. Le récit de sa non sortie sur les écrans mérite bien un (gros) article….
Remontons (rapidement) dans l’histoire. A la fin du XIIème siècle, Muhammad Ghûrî gouverneur de Gazni en Afghanistan envahit la plaine du Gange et fonde le premier pouvoir musulman en Inde, le sultanat de Dehli. La dynastie dite « des esclaves » gouverne alors le pays jusqu’en 1290 date à laquelle elle est supplantée par la dynastie des Khaldjî (1290 – 1320). C’est le 2ème sultan de cette dynastie qui nous intéresse, Ala ud-Dîn Khaldjî. Ala ud-Dîn Khaldjî (1296-1316) est un conquérant qui s’empare de tout le nord de l’Inde, du Pakistan à l’ouest jusqu’au Bengale à l’est en passant par le Madhya Pradesh, le Rajasthan et le Gujarat. (voir la carte ci-dessous) En 1303, Ala ud-Dîn Khaldjî conquiert difficilement (après huit mois de siège quand même) le fort de Chittor, gouverné par Ratnasimh et situé au sud du Rajasthan. Le sultan massacre la population rebelle (hindu et musulmane) mais on ne sait ce qu’il advient du prince.
La carte vient de mes cours, elle est trop vieille aujourd’hui mais ça donne d’idée de l’importance du sultanat de Delhi qui regroupe tout le nord (au-dessus du Maharashtra et de l’Andhra Pradesh)
Là s’arrête l’histoire et ici commence la légende….
En 1540, alors que l’Inde est gouvernée par les Moghols, le poète Soufi Malik Muhammad Jayasi écrit un poème épique, le Padmavat racontant la rencontre et le mariage entre le prince rajput (pronnoncer rajpout) Ratnasimh (Ratan sen ou Ratan singh dans le poème) et Padmavati, princesse du royaume de Singahl (actuel Sri Lanka) dont la légendaire beauté est racontée jusqu’au Rajasthan (c’est loin !). Après avoir traversé sept océans, Ratan Singh aidé de Shiva et de son épouse Parvati (rien que ça) part à la conquête du Sri Lanka et du coeur de Padmavati qu’il prend pour femme (en fait deuxième épouse mais bon on ne va pas entrer dans les détails). Jusque là tout va bien, on reste entre hindous, ça n’intéresse personne.
Dans la seconde partie, Jayasi relate comment le sultan de Dehli Ala ud-Dîn Khaldjî, (musulman donc, c’est important pour la suite) apprenant la beauté de la reine, tente de conquérir le fort de Chittor par amour pour Padmavati. Alors que Ratan Singh trouve la mort, Padmavati (et Nagmati, l’autre épouse qu’on oublie tout le temps) s’immole sur le bûcher de son défunt époux (c’est la pratique du « Sati »: l’immolation des veuves) pour ne pas être capturée par Ala ud-Dîne Khaldji. Jayasi termine son poème en écrivant: « J’ai inventé cette histoire et je l’ai racontée« .
On a donc une légende d’un coté (Padmavati) et l’histoire attestée par des récits multiples de l’autre (Ratnasimh et Ala ud-Dîn Khaldjî). C’est simple, non?
Ben Non.… Depuis le XVIème siècle, la légende de Padmavati a été adaptée, traduite, du Rajasthan jusqu’au Bengale, elle a même fait l’objet d’un Opéra français en 1923 et de deux films indiens dans les années 1960. Peu à peu Padvamati a été intégrée à la culture populaire, les parents nomment les petites filles du nom de la reine. Celle-ci est peu à peu devenue une référence de vertu dont on parle aux enfants, l’incarnation historique du courage et de la non soumission (aux musulmans), un sujet touchant à la fierté des hindous en général et des rajputs en particulier, bref un sujet tabou. On ne parle pas de Padvamati, on la respecte. La reine magnifique (MAIS LEGENDAIRE) qui a préféré s’immoler plutôt que de se donner à l’ennemi à même fait son apparition dans les cahiers d’écoles du Rajasthan récemment.
En juillet 2016, le très réputé et récompensé Sanjay Leela Bhansali décide de réaliser son Padmavati, une épopée façon Bollywood avec ses deux acteurs fétiches, Deepika Padukone et Ranveer Singh et déclenche quelques mois plus tard et à sa grande surprise, un torrent de haine et de violence.
Tout commence au début de Janvier 2017, alors que le film est encore en production et que personne n’en a rien vu. Le groupe Shri Rajput Karni Sena se revendiquant de la « caste rajput » (Rajput vient du sanskrit et signifie fils de roi) s’oppose publiquement au film arguant que celui-ci : « heurte les sentiments de la population du Rajasthan », « détourne des faits historiques » et « donne une image fausse et négative de Padmavati ». Quelques jours plus tard Akhilesh Khandelwal, un membre du parti conservateur le BJP (le parti au pouvoir) annonce sur Facebook une récompense pour celui qui attaquerait le réalisateur Bhansali avec une chaussure (pourquoi une chaussure?).
Fin janvier 2017 Bhansali est agressé à Jaipur sur le tournage du film, de nombreux décors et costumes sont détruits. L’acte est condamné par de nombreux acteurs et par une partie du Congrès (l’autre parti politique principal en Inde) et par l’hebdo Times of India un des rares journaux qui semble avoir gardé raison. PERSONNE N’A ENCORE VU LE FILM QUI N’EST MÊME PAS ACHEVÉ.
En mars 2017, cette fois-ci c’est à Kohlapur (toujours au Rajasthan) que des activistes mettent le feu au plateau avec des bombes au pétrole (tuant aussi des animaux qui se trouvaient sur les lieux ce qui dans l’hindouisme est considéré comme franchement pas top…) LE FILM N’A TOUJOURS PAS ÉTÉ VU.
Entre septembre et octobre 2017, les premières affiches sortent, elles sont brulées, tout ce qui touche au film est systématiquement saccagé et le Shri Rajput Karni Sena menace de bruler les cinémas si le film sort sans qu’eux mêmes et les historiens du Rajasthan n’aient vu et autorisé le film qui doit sortir le 1er décembre.
A partir de novembre 2017, les politiques s’en mêlent et nous assistons dans les journaux à du pur délire ! Le BJP, le parti au pouvoir donc, en appelle à la Central Board of Film Certification (le bureau de censure) qui jusque là n’avait rien trouvé à redire au film, pour que Padmavati « soit vu par des historiens qui puissent attester du respect de l’histoire indienne » !!!!!! (On rappelle à nouveau que Padmavati est une légende non parce qu’à la fin on commence à douter…). Bien que n’ayant pas vu le film, les pétitionnaires soulignent dans leur lettre et dans les journaux que des scènes sont susceptibles de « heurter la sensibilité du peuple rajput » et de « porter atteinte à l’histoire indienne« . Rien que ça !
Les distributeurs refusent alors de sortir le film à la date prévue et les menaces s’amplifient. On parle ici de menace de mort. Le groupe Bharat Kshatriya Samaj annonce une récompense de 780 000 US$ pour qui lui donnera la tête de Sanjay Leela Bhansali ou de Deepika Padukone l’actrice qui incarne Padmavati. Elles est toujours sous protection policière aujourd’hui. Le chef media du BJP dans l’état du Haryana monte les enchères à 1,6 million de dollars. D’autres voix se joignent à celles-là. Nous sommes dans un pays qui se vante être la plus grande démocratie du monde mais aucune des personnes ayant menacé directement la vie de Bhansali ou de de l’actrice Padukone n’est actuellement poursuivi pour… je sais pas moi …. incitation au meurtre ?
Le film est aujourd’hui devant le bureau de certification qui a deux mois pour délivrer ou pas son autorisation. Il est cependant d’ors et déjà censuré dans 7 états qui ne permettront pas la sortie du film même si celui-ci obtenait l’aval du Bureau de certification au motif que « personne n’a le droit de déformer l’histoire et de présenter des faits erronés. La liberté d’expression ne peut servir à justifier le fait de ternir l’image de Padmavati qui est un modèle pour toutes les jeunes femmes. » (On admira la misogynie sous jacente du message : Femme ton modèle c’est de te brûler pour être fidèle à ton mari youhou !)
NE JOUONS PAS AVEC L’HÉRITAGE INDIEN
Extrait de notre article pépite d’or : « Je me rappelle avoir regardé une interview avec Arvind Singh Mewar, un descendant de Rana Kumbha (un prince d’Udaipur) sur Youtube. Assis dans son palace, au cours d’une interview donnée à un magazine, il concédait n’avoir aucune photographie de Padmavati en sa possession. La raison? On n’avait pas pour habitude de photographier les gens à cette époque (…)« . Au début du XIVème siècle donc…. soit 5 siècles à peu près avant l’invention de la photographie….. Bref !
Quelques mots pour finir cet article (encore je sais mais ça fait 2 mois qu’on vit autour de Padmavati…. on a besoin d’écrire :-D) :
En attendant nous on a très envie de le voir ce film….
Et bien quelle histoire!!!!
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